observatoire des sondages

Un sondage d’incitation à la haine

vendredi 31 décembre 2010

On connaît ce vieux jeu de foire qui consiste à lancer des balles sur des tas de boites de conserves ou des têtes connues. Le jeu de massacre paraît vieillot quoiqu’il repose sur des pulsions fondamentales. Le sondage peut alors le rajeunir. Sans doute en guise de cadeau de fin d’année, Harris interactive et VSD offrent un sondage sur les personnalités qui agacent le plus les Français (VSD, 30 décembre 2010). Il pourrait être un jeu à l’humour discutable s’il n’était surtout un sondage pousse au crime.

On ne devrait pas prêter foi à un sondage en ligne organisé auprès de 1713 individus, c’est-à-dire auprès d’internautes volontaires pour répondre d’autant plus qu’ils sont éventuellement intéressés par la promesse d’une gratification. Ces volontaires pour lancer la balle sont-ils représentatifs de la population française parce que après coup, à partir d’un échantillon spontané, on a redressé selon la méthode des quotas, c’est-à-dire en fonction de critères sociaux d’âge, genre, CSP ? Bien sûr non. On ne peut redresser sur des critères politiques ou moraux. Par exemple, on peut être étonné par l’intérêt porté à des gens qui sont pour d’autres personnes d’illustres inconnus et cette propension à avoir un avis sur tout le monde, ou plutôt sur des gens célèbres. Ces internautes regardent beaucoup la télé. Ils composent un échantillon autosélectionné impossible à corriger puisqu’il ne comprend pas ceux qui sont exclus au départ ou se sont exclus en refusant de répondre. Rien à voir avec la sous-représentation de certaines catégories de personnes dans les sondages par téléphone ou en face-à-face. Le caractère de loterie de ce type d’enquête affecte en outre la sincérité des répondants.

Nous nous répétons mais il faut bien le faire puisque cela dure. Le sondage de Harris Interactive-VSD est un produit frelaté dont la commission des lois du Sénat a proposé récemment l’interdiction. Elle a aussi demandé que l’on ne puisse les qualifier de sondages sauf à encourir des sanctions pénales. On peut se demander si le produit n’est pas passible des tribunaux pour incitation à la haine. N’est-ce pas seulement un sondage stupide ? Et n’est-ce pas exagéré que de le juger en outre coupable ? Ce pourrait être une question laissée en suspens car trop difficile si on n’avait les moyens de la résoudre.

La presse relaie en effet ces « fausses nouvelles » et les lecteurs réagissent. En deux jours, 894 réactions ont été postées sur le portail Orange qui a reproduit la dépêche AFP. Sans doute cet échantillon n’est-il pas représentatif. Comme celui de l’enquête visée, c’est un échantillon spontané. Il livre néanmoins des indications suffisantes pour savoir quelle appropriation les lecteurs font d’un sondage qui se veut un palmarès de l’agacement. Agacement ? Comment les lecteurs comprennent-ils le mot ? Il est vague, pas vraiment méchant souvent mais pas forcément gentil. Ne peut-il être compris comme un appel à la vindicte populaire ? Pour le savoir, il suffit d’analyser les réactions des internautes sondés auxquels on n’a pas fourni de définition et auxquels on n’a pas demandé ce qu’ils mettaient dans le mot.

Avant de publier l’analyse statistique des réponses – travail qui prend un certain temps – nous sommes déjà en mesure de répondre. Dans les 894 réponses - en fait un peu moins à cause de réponses multiples non filtrées – on peut différencier cinq grands types :

- la réaction humoristique qui tourne la question en dérision (« je m’agace moi-même »)

- la réponse critique sur le sens du « sondage «  quelle connerie ce sondage »)

- la réaction approbatrice sur l’ensemble du palmarès ou sur une personne désignée à la vindicte (« Royal tient la première place, cela ne m’étonne pas »)

- la réaction de surenchère sur le mode du vous avez oublié un tel ou un tel (« Oubli Ah ! Vous avez oublié Noël Mamère, vous savez…. »)

- la réaction de défi partiel ou total car la personne soutient quelqu’un (« Sauf Marine ! Non elle ne m’agace pas du tout. Marine, sondage à l’appui »)

L’enquête faussement baptisée « sondage », en tout cas effectuée par une entreprise de sondages, ne tomberait pas sous l’accusation d’incitation à la haine si les lecteurs la prenaient comme un jeu humoristique ou comprenaient ses défauts. Le premier type est tout simplement rare - quelques internautes réagissent sur ce mode – et le deuxième plus fréquent car des internautes protestent contre un sondage stupide. Avec humour parfois, quand ils se déclarent agacés par les sondages stupides ou les sondages tout court. Mais voila ! Les trois autres types de réactions sont beaucoup plus nombreux. Les réponses sont souvent acrimonieuses, souvent focalisées sur une célébrité détestée. Si celle-ci est en outre désignée par la photo comme c’est le cas avec la dépêche de l’AFP – la photo de Ségolène Royal, pas forcément choisie pour la mettre en valeur – la personnalité joue à point le rôle de tête à abattre. Le sondage opère alors comme le pilori où les personnalités sont livrées en pâture à la méchanceté plus ou moins intense du public. Un extrême et non l’unanimité, objecterait-on ? Il suffit qu’une grande partie de gens participent à ces jugements sur le mode sérieux pour démontrer le caractère pernicieux de ce genre d’opération. Or, il est si facile de tomber dans le piège du sérieux quand il suffit de reprendre un seul pourcentage. En l’occurrence, le piège est beaucoup plus efficace en encourageant la méchanceté. Une minorité conséquente suffirait à définir une vindicte. C’est en fait la très grande majorité - au-delà de 80 % - qui y participe. Il s’agissait seulement d’amuser ? Qui peut le croire ?

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