observatoire des sondages

Opiniongate : la phase judiciaire

mercredi 2 janvier 2013

La Cour de Cassation a tranché dans un arrêt autorisant l’ouverture d’une information judiciaire sur les sondages de l’Elysée (19 décembre 2012). C’est le dernier épisode d’un long imbroglio commencé avec la publication du rapport de la Cour des comptes le 16 juillet 2009. L’Elysée avait fait obstacle à la constitution de trois commissions d’enquête parlementaire, puis à une plainte déposée par l’association Anticor, par un arrêt du parquet déclarant irresponsables pénalement les co-contractants de la Présidence et à un arrêt de la cour d’appel à l’ouverture d’une instruction judiciaire. La Cour de Cassation vient donc d’autoriser cette instruction. Entre-temps, la presse avait à la fois fait son travail et contrecarré la censure officieuse en prolongeant le travail de la Cour des comptes en juillet 2009, puis en publiant un listing des sondages remis en octobre 2009 à la commission des finances de l’Assemblée nationale par le directeur de cabinet de l’Elysée. Entre-temps encore, les curieux se sont exposés à des plaintes en diffamation de la part des prestataires de service de la Présidence, Opinionway et Patrick Buisson contre Marianne en septembre 2009, Patrick Buisson contre Libération et moi-même en novembre 2009. Ils ont perdu. Réussite tardive et presque inespérée de la curiosité, le tribunal administratif de Paris a ordonné la communication des sondages au plaignant Raymond Avrillier. L’obstruction a donc été systématique.

L’arrêt de la Cour de Cassation limite heureusement l’extension de l’immunité pénale présidentielle. L’affaire des sondages avait conduit le parquet à l’étendre au-delà des limites raisonnablement acceptables dans un Etat de droit. Pour protéger le Président, le parquet avait pris une ordonnance qui empêchait toute poursuite judiciaire à l’encontre des collaborateurs et des co-contractants. Quand un juge d’instruction avait jugé recevable la plainte d’Anticor, la cour d’appel avait annulé l’instruction au nom de cette immunité. On admirera la virtuosité du raisonnement juridique de la Cour de Cassation estimant que l’interdiction a priori de l’enquête contrevient à la présomption d’innocence. Par ailleurs, rien dans la Constitution ne permet selon la Cour de Cassation d’appuyer l’extension de l’immunité aux collaborateurs du Président et a fortiori au co-contractants de l’Elysée.

L’affaire des sondages de l’Elysée aura donc permis de fixer une jurisprudence limitant un privilège exorbitant de l’exécutif. Les collaborateurs de l’Elysée savent dorénavant que l’obéissance aux ordres ne les protège pas et qu’ils sont comptables des actions illégales qu’ils assument. Le directeur de cabinet de la Présidence Christian Frémont l’avait déjà compris par anticipation en se gardant bien de signer les contrats avec le conseiller de Nicolas Sarkozy et en confiant cette tâche à un collaborateur bénévole, le publicitaire Jean-Michel Goudard (Le Monde, 11 octobre 2012). Quant à la plainte pour conflit d’intérêt lancée par Patrick Buisson contre la garde des Sceaux, Christiane Taubira, au motif qu’elle est une marraine de l’association Anticor, elle oublie que le garde des sceaux n’est pas un magistrat mais un personnage politique. Il est vrai que l’action relève de cette méthode qui consiste à attaquer préventivement quand on est en mauvaise posture. La menace judiciaire se rapproche en effet dangereusement des protagonistes des sondages de l’Elysée. En ce sens, le dernier rapport de la Cour des comptes a ajouté des questions. Et les sondages de 2011 et 2012 n’ont toujours pas été livrés par l’Elysée. Dans cette affaire, on est bien obligé de s’interroger rétrospectivement sur le développement de l’affaire en cas de réélection de Nicolas Sarkozy. L’expérience de 2002, avec le départ des juges instruisant les affaires qui mettaient en cause Jacques Chirac consécutif à sa réélection, et leur conclusion judiciaire avec le président successeur, laissent quelques doutes.

Alain Garrigou

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