observatoire des sondages

Baisser les impôts… ou les augmenter ?

jeudi 21 mai 2009, par Alain Garrigou

On connaît cette boutade de Woody Allen parodiant un conférencier : « j’ai la réponse mais rappelez-moi quelle est la question ». Il en va souvent ainsi en matière de sondages si l’on entend par là que les réponses ne font aucun doute. Simplement l’affaire n’est pas comique car elle est un principe de la manipulation par les sondages. Si le terme peut paraître sévère et abusif, c’est pourtant bien de manipulation qu’il s’agit. Et il faut d’autant plus le démontrer que le mécanisme n’est pas encore apparent à tous.

En septembre 2006, l’institut CSA posait les questions suivantes : faut-il
-  baisser les impôts pour augmenter la consommation des Français ? »
-  augmenter les impôts pour assurer une meilleure redistribution sociale en France ? »
La réponse était bien inscrite dans la question : 84 % des sondés étaient favorables à la baisse des impôts, 11 % à la hausse et 5 % ne se prononçaient pas. Il ne pouvait pas en aller autrement parce que les questions étaient pipées. Du coup, il faut se poser la question de l’incompétence ou de la malhonnêteté de sondeurs qui acceptent de poser de telles questions et celle de l’incompétence de sondés qui acceptent d’y répondre. Contrairement à l’apparence, la deuxième interrogation est peut-être plus grave pour la légitimité des sondages en général.

Pipée ? Bien sûr le choix offert induit la réponse parce que les mots sont mal choisis du point de vue de la technique d’enquête. Il n’y a pas symétrie de valeur (si l’on peut dire) entre « augmenter la consommation des Français » et « assurer une meilleure redistribution en France ». Ni entre « Français » et « France », chaque sondé se sentant désigné par le premier terme à l’exclusion d’autres, et pas forcément dans le second qui désignant une identité collective englobe les étrangers. La symétrie n’existe pas plus entre la consommation, leur consommation, quelque chose dont tout le monde a une expérience et qui est perçue comme nécessaire et la redistribution sociale qui reste à beaucoup plus abstraite et dont on peut s’estimer la victime. De ce point de vue, l’alternative n’existe pas, on préfère le bien au mal, l’abondance à la pénurie, soi aux autres, etc.

Du point de vue technique, un tel sondage est assurément mauvais et peut-être pas honnête. On peut évidemment imaginer des solutions qui permettent de corriger. Par exemple, il eut été plus équilibré de substituer le mot « inégalité » à « redistribution ». En tout cas, à la proposition d’augmenter les impôts pour réduire les inégalités », on peut supposer qu’il y aurait plus de 11 % de sondés favorables. Et donc moins de sondés favorables à l’augmentation de la consommation. Un simple problème sémantique et donc plus ou moins technique ? Encore faudrait-il que les alternatives constituées politiquement soient irréprochables. Or, comment sait-on que la baisse des impôts permet d’augmenter la consommation et la hausse la redistribution ? Ces alternatives politiques sont stéréotypées et souvent erronées dans les faits. En quelque sorte, il est demandé aux sondés de se plier à la problématique politique légitime et donc dès avant la réponse d’acquiescer selon un mécanisme préalable de consentement.

Le résultat de cette question de sondage a été publié sur le plateau de l’émission de FR3, Trans Europe Express, le dimanche 24 septembre 2006 devant le ministre de l’Economie d’alors, Philippe Breton, qui ne pouvait qu’approuver. Comme ne pouvait qu’approuver le ministre de l’Intérieur et déjà candidat à l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy, qui mitonnait un programme électoral où la réduction des impôts, en fait pour les tranches supérieures, occupait une large place. La diminution des impôts des contribuables les plus riches obtenait ainsi une large approbation, y compris des plus pauvres.

La critique est déjà suffisamment accablante du point de vue scientifique et démocratique. Elle n’est pourtant pas suffisante au regard de critères scientifiques. Ce n’est pas seulement la technique ou la manipulation des sondages qui est en cause mais la pertinence des sondages et donc, leur légitimité. Il existe des questions inaccessibles aux sondages. Ainsi, on ne peut pas savoir si les Français ou tout autre peuple sont favorables ou pas à la baisse des impôts en le leur demandant de cette manière. En l’occurrence, cela n’a pas de sens d’interroger des gens sur les impôts en général et non sur leurs propres impôts ou ceux des autres. S’il s’agit de ses propres impôts, comment ne serait-on pas favorable à une baisse ? S’il s’agit des riches, comment ne serait-on pas favorable à la baisse si l’on est riche et défavorable si on ne l’est pas ? Parler des impôts en général n’a donc guère de sens. Cela en a encore moins quand les sondés entendent aussi autre chose. Ainsi, sommes-nous tous favorables à la baisse de nos impôts même si nous n’en payons pas. Boutade ?

Qui n’a pas entendu des gens se plaindre de payer trop d’impôts qui n’en paient pas ? Certes, objectera-t-on, ils peuvent alors parler d’impôts indirects. Mais non, ils parlent bien des impôts sur le revenu qu’ils ne paient pas faute de gagner un revenu suffisant pour être imposables. Autrement dit, leur protestation est identitaire, elle manifeste l’appartenance au groupe imposable, groupe perçu comme prestigieux quand on est marqué du stigmate de la pauvreté que dévoilerait la fait de ne pas payer d’impôts. Il existe beaucoup de domaines où l’on ne peut avoir de réponses sincères. Moins parce que les sondés mentent que parce qu’ils se mentent : les questions existentielles sur la richesse, sur le bonheur, sur le sexe, sur la morale. Justement, à la question « Etes-vous heureux ? », la proportion de personnes répondant par l’affirmative est la même que celle des sondés favorables à une baisse d’impôts. Mais renoncerait-on à une technique de mesure de l’opinion même si elle ne vaut rien ?
AG.

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